Les femmes et les enfants d'abord!

Publié le par lagash

L'été est déjà assez loin, mais pas assez pour que je puisse oublier à quel point je n'ai pas aimé Melancholia de Lars Von Trier. Si vous avez lu mon article précédent, vous aurez compris que je n'ai guère aimé non plus le jeu Heavy rain. Et bizarrement, même s'il peut sembler assez absurde de faire des rapprochements entre un jeu et un film, il me semble qu'on peut trouver des points communs entre ces deux objets. Tous d'abord, Heavy rain et Melancholia sont l'oeuvre de gens désireux de faire les malins, et c'est déjà quelque chose d'assez problématique. Bien évidemment, David Cage et Lars Von Trier se sont cru obligés de faire un portrait noir de l'humanité, sans doute pour montrer qu'ils avaient compris quelque chose à la marche du monde ( est-il indispensable de rappeler que l'intelligence et la lucidité n'excluent ni la drôlerie ni la naiveté). Melancholia et Heavy rain sont deux oeuvres éminemment glauques, le plus grave étant sans doute qu'elles ne sont pas  originales, puisque la souffrance qu'elles mettent en scène est évidemment celle des femmes et des enfants. Et c'est d'autant plus problématique qu'on a l'impression d'être face à une esthétisation de la souffrance à proprement parler scandaleuse. En d'autres termes, avec David Cage et Lars Von Trier, on est bien loin de Mizogushi ou de Dostoievski, qui n'ont cessé de mettre en scène la souffrance  sans qu'on ait une seconde l'impression qu'il l'aient fait  "pour faire joli".

 

Melancholia raconte tout simplement la fin du monde. J'ai fait partie des andouilles qui jusqu'au bout ont cru qu'un événement empêcherait la catastrophe, mais je suis décidément trop naive et trop bête. La fin du monde eut bien lieu, et sans doute parce qu'il fallait  enfoncer le clou et montrer que l'espoir est vraiment l'apanage des imbéciles, il fut bien précisé dans le film qu'en percutant la Terre, la planète Mélancholia détrurait la seule planète de l'univers sur laquelle on pouvait trouver de la vie. Le film aurait pu être bouleversant, mais bizarrement je ne ressentis qu'assez peu d'émotion à la fin du film. Pourtant, on ne peut pas dire que Lars Von Trier ait lésiné sur les moyens. Les images sont belles, les références sont chics et élégantes et les personnages ne sont pas là pour rigoler. Justine n'aime pas le monde, Mélancholia le détruit, et on pourrait évidemment s'interroger sur la nature de la relation unissant Justine et la planète. D'une certaine manière, la mélancolie de Justine est à l'origine de la catastrophe, et la construction du film vient le suggérer. Dans la première partie, elle apparaît comme une sorte d'ange noir, à la fois dérangé et lucide, qui envoie balader fiancé, patron et tutti quanti, sans qu'on puisse la blâmer vraiment puisque tous ces gens n'ont pas l'air d'avoir grand intérêt. Dans cette première partie, il n'est pas question de la planète Mélancholia, mais bien de la mélancolie de Justine , le terme "mélancolie" pouvant renvoyer à un sentiment assez violent. Dans la deuxième partie, tandis que Justine s'est effondrée, la menace "Melancholia"  apparaît, et lorsqu'elle se fait un peu plu précise, Justine reprend goût à la vie. Melancholia raconte donc l'histoire d'une femme qui aime tellement peu la vie qu'elle ne peut que se réjouir de la voir disparaître. Lars Von Trier la présente comme une héroine, puisqu'elle est la seule à ne pas se caractériser par la médiocrité. Ce qu'il met en scène en effet, c'est le fait que la dépression de Justine est due à une soif d'absolu, qui se traduit par une soif de destruction. L'humanité est tellement médiocre qu'elle ne mérite pas de vivre. C'est là le credo de Justine, et Lars Von Trier s'est arrangé pour qu'on ait d'autre choix que d'être d'accord avec elle. Personne ne pourrait supporter la médiocrité, l'hypocrisie et la lâcheté des gens qu'elle fréquente, et pour bien nous montrer à quel point elle ne les supporte pas, ce brave Lars n'a pas hésité à nous faire voir son malaise, qui a en plus l'avantage d'être assez sexy puisqu'elle est interprétée par Kirsten Dunst. J'aurais sans doute pu être touchée par le personnage, et il se peut même que Lars Von Trier ait pensé à L'idiot en tournant son film. Mais on en est évidemment très loin. Tout d'abord,  le prince Mychkine aime l'humanité et  contrairement à Justine, il ne se considère pas comme au- dessus du lot. D'autre part, il y a trop de complaisance de la part de Lars Von Trier pour qu'on prenne son histoire et son personnage au sérieux. Et l'introduction du personnage du petit garçon loin d'apporter de la profondeur au film vient en souligner la présomption.

Face à la médiocrité de l'humanité, Justine incarne la pureté, mais elle n'est pas totalement seule. Elle a en effet un allié et il s'agit de son neveu. Encore une fois, on voit bien dans quelle lignée Lars Von Trier souhaite s'inscrire, et il s'agit  tout simplement de celle qui nous conduit de la Bible à Godard en passant par Dostoievski et Rosselini. C'est évidemment une très chouette lignée, mais il se trouve que dans Melancholia les choses ne fonctionnent pas, et tout ce qu'on se dit à la fin du film c'est que les femmes sont d'indécrottables hystériques tandis que les enfants sont niaiseux. C'est tout de même embêtant.

 

Dans Heavy rain, ce n'est pas tant le traitement des femmes qui pose problème que l'instrumentalisation de la souffrance des enfants. Pour faire sérieux, tuons des enfants. Voilà ce que s'est sans aucun doute dit David cage, qui est à l'origine du projet. Lorsqu'ils ne sont pas capturés par des sérial killers, les enfants d'Heavy rain meurent, victimes de bêtes accidents, ou de la méchanceté des adultes. Les enfants d'Heavy rain sont des enfants fantasmés et il serait peut-être bon de rappeler à ceux qui ont conçu Heavy rain que les enfants de 10 ans ne se comportent pas comme ceux de 3 ans. Mais cela ne les intéressera certainement pas. En effet, ce qu'ils ont recherché, c'est la mise en place  d' un dispositif permettant au joueur de ressentir un fort sentiment d'immersion. Et évidemment cela fonctionne, puisque n'importe qui aura à coeur de tout faire pour empêcher la mort d'un enfant. A mes yeux il y a une scène assez symptomatique de l'ambiance du jeu. A un moment , on joue un flashback, et on sait qu'à la fin de la scène un enfant va mourir, sans qu'on sache vraiment si on interprète celui qui meurt ou son frère(enfin si je ne dis pas de bêtises!). C'est là une idée assez brillante et efficace sans doute, d'autant plus que la scène est assez bien fichue, mais j'en garde un très sale souvenir, parce que tout au long de la scène je n'ai pas pu m'empêcher de penser que je pouvais faire quelque chose pour sauver l'enfant alors que ce n'est évidemment pas le cas. Le fait qu'on soit dans un jeu video met du suspense alors qu'en fait il n'y en a aucun. C'est un procédé  malin, mais  détestable avant tout.

 

Bon, à moins que vous ne soyez des abrutis finis, vous aurez compris que je n'aime pas beaucoup Melancholia  et Heavy Rain. Les deux objets n'ont a priori pas grand-chose à voir, mais ils ont en commun de se présenter comme des objets a priori intelligents. Mais dans le fond, je trouve qu'il y a quelque chose d'assez bête  dans le fait de croire qu'il suffit de montrer des gens malheureux  pour avoir l'air de dire quelque chose. En réalité, Melancholia et Heavy rain sont construits sur l'installation d'un chantage affectif, et on voit bien combien les femmes et les enfants ont quelque chose de pratique quand il s'agit de mettre en place ce type de dispositif. Le terme "pratique" a évidemment quelque chose de dérangeant, puisqu'il sert normalement à qualifier des objets objet et non des personnes, mais je trouve qu'il correspond bien à l'état d'esprit de Lars von Trier et de David Cage pour qui les femmes et les enfants ne servent à rien d'autre qu'à créer de l'émotion. Ils ne sont pas les seuls, vous me direz. Et vous aurez raison, et c'est sans doute ce qu'il y a de plus grave.

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