Si je faisais un film ...

Publié le par lagash

Si je devais faire un film, je raconterais l'histoire d'Elie,  et en particulier le moment où il est emporté dans les cieux ( 2 R, 2, 1). Elie est avec Elisée, qu'on peut considérer comme son fils spirituel. Tous les deux savent qu'Elie sera emporté dans les cieux, et c'est avec inquiétude qu'Elisée le voit s'éloigner. Elie le rassure en lui disant qu'il ne va qu'à Bethel. Elisée le suit jusque-là, et Elie commence à s'éloigner encore. Cette fois-ci, il prétend qu'il va à Jericho, mais Elisée ne le croit pas, et part avec lui. Elie repart, et à Elisée qui s'inquiète encore, il dit qu'il va jusqu'au Jourdain. Alors qu'ils sont devant le Jourdain, le prophète partage les eaux.. Elie dit alors à Elisée : "Demande: Que puis-je faire pour toi, avant d'être enlevé d'auprès de toi?", et Elisée répond: "Que me revienne une double part de ton esprit", Il veut recevoir une part de l'esprit d'Elie, tout comme un fils reçoit un héritage de son père, sauf que là, c'est plus compliqué, puisque c'est à Dieu de décider. Elie dit alors à Elisée que s'il le voit être emporté dans le ciel, c'est qu'il a reçu l'esprit. Et Elisée voit un char emporter le prophète: il a reçu son esprit, et il partage les eaux du Jourdain à son tour.

 

Spontanément, j'ai dans l'idée que je ferais le film dans mon quartier, qui fait partie de ces quartiers assez peu chics qu'on trouve aux portes de Paris. Bien qu'il y ait quelque chose d'assez majestueux dans le fait qu'Elie aille dans des lieux aussi symboliques que Bethel, Jericho et le Jourdain et surtout qu'il soit emporté dans les cieux dans un char de feu, la scène me donne un tel sentiment de familiarité que je ne peux que l'imaginer dans un lieu que je connais bien. Et je dois avouer que la perspective d'imaginer Elisée suivre Elie de l'école jusqu'à la poste, puis de la poste jusqu'au KFC, et enfin du KFC jusqu'au Giga a pour moi quelque chose d'à la fois tout à fait réjouissant et naturel. Elie essaie de semer ce petit jeune qui tient trop à lui sans doute, et plutôt que de s'enerver, il lui raconte des bobards, mais voyant qu'il ne lâchera pas l'affaire, il capitule en quelque sorte, et le miracle se produit. Elisée est comme un enfant, et les enfants adorent suivre les adultes qui ne savent alors pas comment faire pour s'en débarrasser. Et la solution la plus simple est alors de l'accepter, et de comprendre que les enfants ne sont pas toujours complètement idiots. Et c'est sans doute ce qui rend ce passage si émouvant, et qui fait que si je faisais un film sur la vie d'Elie (ceci dit, il ne meurt pas vraiment, il a simplement été emporté dans les cieux, et il doit revenir!), il se terminerait d'une manière à la fois grandiose et intimiste.

 

Ce mélange de grandiose et d'intime, on le trouve souvent dans la Bible. Vous n'avez qu'à lire l'Eccléisaste pour vous en rendre compte. Quand on est comme moi, un peu angoissée, et non-croyante, on se sent un peu comme un enfant qui aimerait qu'un adulte le rassure, et c'est de cette angoisse-là que nous parle L'Ecclesiaste. L'Evangile selon Saint-Jean commence de manière grandiose: "Au commencement le verbe était/ et le verbe était avec Dieu/ et le verbe était Dieu." Il se termine au contraire sur la mention du "disciple que Jésus aimait, celui qui, durant le repas, s'était penché vers  sa poitrine et lui avait dit: "Seigneur, qui est-ce qui va te livrer ?" ". Jesus aime tout le monde, mais on a l'impression qu'il n'est attaché à personne. Seul ce disciple qu'il chérit semble avoir pour lui de l'importance, et quand il va mourir c'est en parlant de lui qu'il dit à sa mère: "Femme, voici  ton fils." et c'est à lui qu'il dit en parlant d'elle : "Voici ta mère." Et à presque à la toute fin de l'évangile, on apprend que "c'est ce disciple qui témoigne de ces faits et qui les a écrits", lui de qui Jésus avait dit: "S'il me plaît, qu'il demeure jusqu'à ce que je vienne". Je ne sais pas si vous connaissez kaamelott. Il y a un épisode, Legenda, dans lequel on voit le roi Arthur raconter son histoire à un petit garçon (ça se transforme en une sombre histoire d'ours), et pour moi le disciple préféré de Jésus, c'est un petit peu comme le petit garçon de Kaamelott, et c'est sans doute parce qu'au final, on a l'impression que l'Evangile selon Saint Jean nous est raconté par un petit garçon pour lequel  Jésus se serait pris d'affection qu'il est si émouvant.

 

A vrai dire, des films qui parlent de Dieu, de Jesus et de tout ça, je n'en ai pas vu 12000. Il y a bien entendu les peplum des années 50, mais c'est un genre qui me laisse assez froide, et comment dire, la Bible des péplums, ce n'est pas la Bible que j'ai lue.

En revanche, j'ai vu trois films: L'evangile selon saint-matthieu, de Pier Paolo Pasolini, Les 11 fioretti de François d'Assise de Roberto Rossellini, et Je vous salue Marie, de J.L. Godard. Je ne connais pas les convictions de Pasolini, de Rosselini et de Godard quant à l'existence de Dieu (et dans le fond ça n'a aucune importance), mais une chose est certaine: en voyant leur film, on retrouve cet état d'esprit qui anime certains passages de la bible, fait d'un mélange de tendresse, d'innocence, de dureté et de mystère, et cela tient en partir au fait que dans ces films, les enfants sont pris au sérieux.

 

. Dans Je vous salue Marie, il y a deux personnages d'enfants géniaux: il y a évidemment Jésus, qui s'amuse à rebaptiser ses copains, et qui, alors qu'il se fait engueuler par son père, Joseph, chauffeur de taxi de son état, proclame un truc du genre: "Je suis ce qui est!"; il y a aussi la nièce de Gabriel qui suit son oncle partout, et qui semble comprendre un peu mieux que tout le monde ce qui se passe. Mais je ne m'étendrai pas plus avant sur le film, qu'il faudrait que je revoie.


  Le fait que les enfants soient pris au sérieux, c'est aussi le point commun entre l'Evangile selon Saint-Matthieu, de Pasolini, et Les 11 fioretti de Saint François d'Assise, de Rosselini, qui pourtant  relèvent de deux régistres différents. Ceci dit, parler de registre concernant ces deux films, c'est complètement idiot, étant donné que l'un et l'autre ( le film de Godard aussi d'ailleurs) se caractérisent par une liberté de ton  on ne peut plus frappante, et si ce fut un choc pour moi de voir L'Evangile, ce fut d'abord parce que je n'imaginais pas qu'on puisse raconter une histoire (et en plus quelle histoire!) de cette manière là, car comme je le disais dans mon article sur  saint jerome , on passe sans cesse d'un registre à l'autre. On voit parfois dans la même scène Jesus en exercice, et des tas de gens, souvent filmés en gros plan, mais pas toujours, parfois en train de travailler, parfois simplement là, comme si la caméra les avait surpris dans leur maison, et les avait filmés simplement pour témoigner de leur existence. Et parmi ces gens que Pasolini a filmés avec amour, il y a évidemment les enfants qu'il montre non pas forcément sages comme des images, mais plutôt comme ils sont parfois , c'est à dire à la fois un peu remuants et magnifiques (bon parfois ils sont affreux). Jésus les aimait d'ailleurs, comme le montre une des citations les plus célèbres de l'Evangile: "Laissez les petits enfants et ne les empêchez pas de venir à moi; car c'est à leurs pareils qu'appartient le Royaume des Cieux."(Mt, 19, 14).

 

 

 

Les 11 fioretti de Saint François d'Assise  est un film beaucoup plus rigolo que ne l'est L'Evangile  (il y a tout de même une scène un peu rigolote: je ne vous la raconte pas, vous n'avez qu'à voir le film, et si jamais ça vous échappait, vous n'aurez qu'à me demander: ce n'est pas à mourir de rire non plus!).Et à sa manière, il célèbre le monde des enfants, mais il le fait sur un mode assez particulier.  Tout au début du film, on  voit les moines courir dans la boue, et en les voyant courir comme ça, je me disais que ça me faisait penser à quelque chose, et tout à coup, j'ai eu une révélation: ces moines sont comme des enfants: les enfants courent tout le temps, et ils courent tellement qu'on se demande comment ils font pour ne pas se cogner davantage. D'ailleurs, lorsqu'on envoie un enfant quelque part, on lui dit toujours d'y aller sans courir, et quand il revient, on le retrouve tout essoufflé, mais cela ne l'empêche pas d'annoncer tout fier: "J'ai pas couri!". Rosselini filme les hommes comme si c'était des enfants: les moines sont en quelque sorte des enfants qui ont reçu la grâce, tandis que d'affreux guerriers qu'on voit un plus tard dans le film sont de sales gosses mal élevés.

Les 11 fioretti de Saint François d'Assise nous  montre une petite communauté de moines réunis autour de Saint François, qui rend habitable une petite cabane, le but étant de la laisser aux pauvres dès qu'elle sera terminée. Leur intention est évidemment de vivre selon les préceptes du Christ, et on les voit donc, pieds nus, suivre l''exemple du Christ et de François,sans faire toujours preuve de tout le discernement qu'il faudrait. Ginepro fait partie de ceux qui font les choses un peu de travers, et il n'est pas certain que le cochon à qui il a coupé un pied pour soulager un des frères malades comprenne qu'en se laissant couper un pied, il fait plaisir à Dieu, et ce même si Frère Ginepro prend bien soin de l'appeler "frère porc". Et le propriétaire dudit porc n'a pas l'air convaincu non plus... Et pour récompenser Ginepro de son zèle sur le camp (je crois plutôt que c'est pour l'en éloigner, mais chut!), François l'envoie prêcher. Le pauvre Ginepro se retrouve alors dans une sorte de camp, remplis de guerriers hirsutes qui se servent de lui comme d'une corde à sauter, et cet épisode est à la fois très rigolo et tout de même assez effrayant, tant la férocité de ces grands gaillards contraste avec la béatitude du moine. Assez embêté, le chef, qui met d'ailleurs trois plombes à s'extirper de son armure encombrante, l'emmène dans sa tente, et multiplie les provocations et les grimaces, mais rien n'y fait: Frère Ginepro n'a pas peur, et même si cela agace beaucoup cet affreux guerrier, il capitule. La bonté, la sérénité et la foi de Ginepro ont eu raison de la violence et de la férocité des soldats. Ginepro est peut-être complètement idiot mais il a tout compris. A la fin du film, les moines se séparent, et pour déterminer dans quelle direction ils doivent aller, ils tournent sur eux-mêmes, et lorsqu'ils tombent (y'a un vieux moine qui met d'ailleurs des plombes à tomber, ce qui semble agacer un tantinet François), leur position leur montre vers où se diriger: ils font confiance à ce qui n'est peut-être que du hasard pour décider de leur vie, et ça a quelque chose de magnifique.

En filmant les moines comme des enfants, c'est en quelque sorte leur innocence qu'il célèbre,  et Saint François, qui guide ses moines  à la manière d'un instituteur patient (il arrive même à faire taire les frères oiseaux!) n'est jamais plus émouvant que quand il pleure, comme un enfant, après avoir croisé un lépreux. L'humanité, l'innocence et l'espoir sont célébrés dans ce film: à la fin , c'est un tel bonheur de voir avec quelle joie ces moines demandent l'aumône pour l'offrir aux pauvres ensuite que ça donne envie de pleurer.

 

Alors bien sûr, ceux qui fréquentent des enfants de près savent bien qu'ils peuvent être épouvantables, et qu'ils ressemblent souvent davantage aux affreux guerriers des 11 fioretti qu'aux doux enfants de L'Evangile. Mais peu importe, car ces films n'ont pas la prétention d'être des traités de psychologie. Célébrer les enfants, c'est en quelque sorte célébrer tous ceux dont on pense qu'ils n'ont rien compris, et dont le seul tord est parfois de croire en certaines choses, ou au contraire d'en rejeter d'autres parce que c'est au dessus de leurs forces de les accepter. Et ce n'est pas pour rien qu'un des passages les plus émouvants de la Bible est celui dans lequel Jesus, crucifié,  s'adresse à Dieu: "Mon père, mon père, pourquoi m'as tu abandonné?". Même Jésus, qui est pourtant celui qui a tout compris, ne comprend rien dans le fond, et il nous montre ainsi que tout le monde a le droit de redevenir un enfant, qui aimerait bien tout comprendre, ce qui s'explique comme ce qui ne s'explique pas.

En célébrant ainsi les enfants, la Bible et les films dont j'ai parlé célèbre donc les sans-grade, ceux qui n'ont rien et ceux à qui on ne laisse même pas le droit de s'exprimer, et il n'y a sans doute rien d'étonnant à ce que j'aie spontanément envie de tourner l'histoire d'Elie dans mon quartier, qui est justement un de ces quartiers habités par des gens qui n'ont rien ou pas grand chose.

Enfin, célébrer les enfants, c'est aussi célébrer le triomphe du premier degré et c'est affirmer son refus de voir triompher les discours des gens qui savent, et  qui ont tout compris. La candeur et l'innocence n'excluent pas la lucidité, et c'est sans doute de leur mélange que vient notre capacité à nous indigner, et peut-être de nous mettre à pleurer, comme François, devant l'injustice, ou au contraire de nous réjouir quand on la voit reculer.

 

 

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G
<br /> Mais j'irais le voir, moi, ton film ! TOUT LE MONDE irait le voir ! Ça déchirerait ! Ça m'a l'air assez proche de "Je vous salue Marie", d'ailleurs, dans le concept, non ?<br /> <br /> Et qui est-ce qui jouerait Élie ? Mathieu Amalric ?<br /> <br /> <br />
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L
<br /> <br /> Disons que ça se passerait dans un environnement assez similaire et il y aurait du Bach. Sinon, je prendrais des acteurs non professionnels. Bref il ne reste plus qu'à le faire!<br /> <br /> <br /> <br />